Orthographe, l’heure du coming out
Pour les collaborateurs mauvais en orthographe, l’heure du coming-out a sonné. Il est important de mettre un terme à la stigmatisation. Ce phénomène tend à s’accentuer, toutes thématiques confondues. L’avènement du « politiquement correct » et l’omnipotence d’internet et des réseaux sociaux n’y sont pas totalement étrangers. L’orthographe n’échappe pas à la règle et compte parmi les sujets qui vous pointent du doigt, pour peu qu’elle soit perçue comme défaillante, voire approximative, dans vos écrits. Le constat est plus net encore dans le monde du travail que dans la sphère privée.
Conséquence directe : beaucoup tentent de cacher ou de dissimuler ce qu’ils perçoivent comme une insuffisance notoire. Soit par sentiment de honte : ne pas maîtriser les fondamentaux de sa langue native est une maladie peu avouable. Soit par crainte des dommages collatéraux : jugement de sa hiérarchie, de ses collègues, de ses clients ou fournisseurs…et conséquences induites sur les perspectives de développement de carrière.
Mon propos n’est pas de prôner ici le laxisme ou le relâchement autour des écrits professionnels. Ces derniers se doivent d’être soignés, à défaut d’être irréprochables (à l’impossible nul n’est tenu). Aider les moins armés à retrouver confiance et dignité est une priorité absolue. Pour ce faire, dédramatiser la situation est une nécessité.
Dysorthographie et souffrance.
Anne-Marie Gaignard, conceptrice de la méthode Hugo et les rois pour enfants, le dit très bien. « Être en froid avec l’orthographe n’est pas synonyme de négligence. L’échec répété paralyse les facultés de raisonnement, et développe un sentiment de culpabilité, qui deviennent d’énormes handicaps sur les plans social et professionnel. On recourt à une aide extérieure pour faire relire ses écrits, au risque de perte de confidentialité. Pire, on camoufle, on dissimule…quitte à ne pas communiquer ». Cet été, une responsable de formation en milieu hospitalier me relatait le cas de cette infirmière de jour qui ne notait rien…ou si peu…dans le cahier des transmissions à l’équipe de nuit. Après avoir été poussée dans ses retranchements pour comprendre les raisons de ce manquement, l’intéressée a fini par avouer ses graves insuffisances en orthographe et la terreur éprouvée à l’idée que ses collègues et sa hiérarchie s’en aperçoivent. Avec quelles conséquences potentielles sur les patients hospitalisés ???
Orthographe et intelligence.
L’orthographe est un apprentissage. Sans en exclure quelque logique, pour la maîtriser, il faut globalement apprendre sa grammaire…par cœur. Il n’y a rien d’intuitif dans un accord du participe passé, ou dans une terminaison de verbe conjugué dans un temps et un mode définis. Tant que ces acquis ne sont pas solidement ancrés dans la mémoire au point de devenir des réflexes, point de salut. Si l’école ne consacre plus assez de temps à cet apprentissage en profondeur, peut-on taxer un élève défaillant de « non comprenant »? Et ce collaborateur d’incompétent, alors qu’il est un professionnel reconnu dans son domaine d’expertise technique ? Clairement, NON.
Il n’y a pas de lien entre l’orthographe et l’intelligence. Le manque de maîtrise en orthographe et grammaire ne permet pas d’exprimer pleinement et clairement ses idées, de les rendre cohérentes. A force de contourner les difficultés et d’éviter les obstacles de la langue, le propos de départ risque d’être dénaturé…et ce quel que soit le niveau d’intelligence, quel que soit le niveau d’études, quelle que soit la position hiérarchique ou sociale.
Même les plus grands…
Classiques ou contemporains, nos plus grands écrivains ou auteurs de théâtre n’étaient pas tous en bons termes avec l’orthographe. Certains d’entre eux figurent au Panthéon de la littérature française, d’autres siègent à l’Académie Française. Pour ne citer qu’eux, Baudelaire, Rimbaud, Balzac, Proust, mais aussi Céline, Cocteau ou Anouilh admettaient des difficultés certaines avec la grammaire de cette langue française qu’ils manipulaient si bien par ailleurs.
Plus près de nous, Erik Orsenna reconnaît buter régulièrement sur le redoublement de consonnes et recourir au dictionnaire pour dissiper ses doutes. « Le merveilleux du dictionnaire, c’est que lorsqu’on cherche quelque chose, on en trouve une autre. On voyage dans la langue française. »s’empresse-t-il d’ajouter.
Conclusion : oser le premier pas
La dysorthographie est subie et vécue comme une souffrance par ses victimes, il faut en avoir pleinement conscience. Elle peut être perçue comme un mal incurable, à tort. Les erreurs d’orthographe (le terme « fautes » est pour le coup très stigmatisant) ne sont pas irrémédiables chez l’adulte. La conjugaison, la grammaire et l’orthographe sont des matières qui s’apprennent. Or on (ré)apprend à tout âge. C’est davantage une question de vouloir que de pouvoir !
« Là où il y a une volonté, il existe un chemin ». Encore faut-il :
- accepter de se frotter aux règles de notre langue par le biais d’un enseignement adapté. C’est beaucoup plus simple qu’il n’y paraît.
- reconnaître, accepter et assumer la nécessité d’une remise à niveau. C’est déjà plus compliqué, mais indispensable. Les lacunes en orthographe ne sont ni honteuses (j’espère l’avoir démontré), ni inéluctables.
Il est urgent et toujours temps de « sortir du placard », ou d’aider un(e) collaborateur(trice) à le faire. Il est de la responsabilité de chacun, employé(e) ou hiérarque, de mettre qui du courage, qui de l’intelligence et de l’empathie dans le traitement de cette question. En parler est bien le premier pas, celui qui coûte. Mais c’est un pas essentiel vers la reconquête de l’orthographe dans nos entreprises.