Écriture inclusive : réponse exclusive ?
En mars dernier, les éditions Hatier ont dévoilé le premier manuel scolaire pour CE2 « Magellan et Galilée, Questionner le monde » en écriture inclusive. Le feu était mis aux poudres, comme chaque fois que les fondations, les fondements, ou les fondamentaux de notre belle langue sont sur la sellette.
De quoi parle-t-on ?
Selon l’agence de communication d’influence Mots-Clés, l’écriture inclusive désigne l’ensemble des attentions graphiques et syntaxiques permettant d’assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes. Parmi celles-ci, les trois qui reviennent le plus souvent dans le débat sont :
- l’accord en genre des noms de fonctions, grades, métiers et titres (présidente, auteure ou autrice, professeure, colonelle, etc.) ;
- l’usage du féminin et du masculin par la double flexion (elles et ils font, toutes et tous, les citoyennes et les citoyens), l’épicène (nom ou adjectif dont la forme ne varie pas avec le genre : élève, digne, membre, juste, fonctionnaire, …) ou le fameux point milieu ou médian qui fait polémique (des enseignant.e.s, un.e conseiller.ère municipal.e, des agriculteur.rice.s);
- l’utilisation de mots « englobants » (les droits humains ou droits de la personne humaine, plutôt que droits de l’Homme).
Sitôt saisie du sujet, l’Académie française est vent debout, affirmant que l’écriture inclusive (surtout le fameux point milieu) constitue un péril mortel pour notre langue. Extrait d’une déclaration de l’Académie du 26 octobre, adoptée à l’unanimité de ses membres : » Il est déjà difficile d’acquérir une langue, qu’en sera-t-il si l’usage y ajoute des formes secondes et altérées ? Comment les générations à venir pourront-elles grandir en intimité avec notre patrimoine écrit ? »
Trop complexe, l’écriture inclusive ?
Puis les Immortels assouplissent la position, par la voix de leur Secrétaire perpétuel, Hélène Carrère d’Encausse, qui annonce que la vénérable institution se penchera d’ici la fin de l’année sur la féminisation des titres, des fonctions et des grades. Avant de préciser que, « depuis vingt ans, les évolutions de la société ont entraîné un certain nombre de modifications de la langue, dont il conviendrait aujourd’hui de prendre la mesure ». À commencer peut-être par son titre de Secrétaire perpétuel…le ???
Du côté de l’éducation nationale, en charge de l’enseignement et des apprentissages de la langue en milieu scolaire, qu’en pense-t-on ? Selon le ministre Jean-Michel Blanquer, interrogé à France Inter le jeudi 28 septembre : « Que cette liberté soit offerte dans la vie démocratique courante, ça me paraît compréhensible. À l’école, je suis plus réservé […] quand je vois les difficultés qu’on a à bien consolider la lecture de façon simple et accessible« , déplore-t-il, avant d’ajouter que cette initiative « n’est pas grotesque, mais questionnable : il faut en discuter« .
Bref, l’Académie et l’académique semblent accepter, mollement, l’idée de se pencher sur la question.
Sur un air de tango…!!!…
En novembre 2015, le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) a édité un « Guide pratique pour une communication publique sans stéréotype de sexe », un ouvrage à destination des professionnel.le.s de la communication, des collectivités locales, des services de l’Etat ou des établissements publics, … Rattaché aux services du Premier ministre, le HCEfh émet dans ce guide 10 recommandations pour en finir avec les stéréotypes et les rôles de sexe dans toutes les communications émanant des services publics et, pour ce faire, promeut l’usage de l’écriture inclusive. Un pas en avant très concret, que l’on soit partisan ou non de ladite écriture.
Deux ans plus tard jour pour jour, le Premier ministre en personne, autorité de tutelle du HCEfh, donne consigne aux membres du gouvernement de bannir des textes officiels cette forme d’écriture. « Je vous invite, en particulier pour les textes destinés à être publiés au Journal officiel de la République française, à ne pas faire usage de l’écriture dite inclusive. » écrit le chef du gouvernement, dans une circulaire parue mercredi 22 novembre. Un pas en arrière, aux allures de désaveu du HCEfh.
Ou sur un slow…!!!…
Alain REY, linguiste et co-fondateur du Petit Robert, considère que » la langue française bougera quand les mentalités bougeront. La langue n’est que le reflet des mentalités. Pour tendre vers l’égalité hommes / femmes dans les écrits, il faut contourner la difficulté par des procédés qui ne remettent pas en cause brutalement nos habitudes. » Hâtons-nous lentement de réformer, en quelque sorte.
Et l’entreprise dans tout ça ?
Une certitude à ce stade, l’entreprise moderne est le reflet d’une société moderne. L’égalité hommes / femmes, à tous les niveaux, doit s’y imposer. Sans réserve et sans discussion. Mais l’entreprise moderne favorise des échanges écrits toujours plus nombreux, en flux toujours plus tendus. La qualité des écrits s’en ressent. Notre langue est malmenée. Les fondamentaux ne sont plus respectés, faute d’avoir été suffisamment enseignés ou correctement acquis. Commençons par nous réapproprier les règles élémentaires avant d’ajouter de la complexité, même si l’écriture inclusive est l’expression d’un mouvement sociétal nécessaire et légitime. Procédons par ordre. De toute façon, ça finira par bouger. Le français est une langue vivante, non ?